Faut-il avoir peur de la métropolisation ?

L'organisation économique et politique du territoire français autour de quelques grandes villes est perçue tour à tour comme une opportunité ou un facteur d'inégalités. Qu'en disent les chercheurs ?

Un engouement ancien pour les métropoles

Dans les années 80, tous les Etats européens ont "consacré des moyens supplémentaires aux grandes villes, en matière d'investissements et de subventions".

De leurs côtés, les capitales régionales investissent partout dans la rénovation des centres-villes, les musées et les "grands gestes architecturaux", les rapprochements d'entreprises. Mais toutes les villes auront-elles les moyens de résister à l'actuelle crise économique ?

A lire : Compétitivité nationale : lorsque les Etats européens misent sur les villes. Propos du sociologue Patrick Le Galès recueillis par la revue M3-Société urbaine et action publique du Grand Lyon, hiver 2012-2013, pages 62 et 53

Les grandes villes auraient LA solution

Economiste et urbaniste, Jean Haëntjens n'hésite pas à parler de "la solution des villes" pour faire face à la crise économique et écologique que nous traversons. Pour lui, des villes comme Genève, Lyon ou Copenhague ont mis au point de manière pragmatique une méthode de développement dont l'Etat français devrait s'inspirer.

Cette méthode repose sur :

  • 1 principe :
    • on peut produire de nouvelles richesses en agissant sur des leviers non économiques : qualité de vie, sentiment d'appartenance à un territoire...
  • 4 axes de travail :
    • la transversalité,
    • l'intervention directe, au-delà des seules incitations normatives ou fiscales,
    • la communication,
    • la mobilisation et la participation des habitants...

Les ingrédients, somme toute, d'une politique de développement local qui a peu à voir avec la taille ou la nature du territoire !

A lire : Les villes à l'avant-garde. Jean Haëntjens dans la revue Futuribles n°392, janvier-février 2013, 8 pages

Tous derrière nos grandes villes ?

Pour Philippe Veltz, "le développement n'est pas un jeu à somme nulle dans lequel ce qui serait gagné par les uns serait pris aux autres". Les grandes villes "entraînant leur périphérie", il s'agirait de construire la France comme "une cité dont le TGV est le métro".

Quant au démographe Hervé Le Bras, interrogé en octobre 2012 par le journal La Croix, il considère déjà que la France est devenue une grande ville..."avec des parties plus vertes et d'autres plus construites".

Enfin Jérôme Cordellier, président du réseau national de l'économie territoriale (RNET), résume en quelques mots les mérites de la métropolisation :

  • l'organisation des services et des politiques publiques à une échelle pertinente, au regard des modes de vie actuels,
  • une meilleure visibilité mondiale, donc une meilleure attractivité économique, des différents territoires français,
  • la remise à plat des politiques publiques et des réflexions sur le développement local...

D'après lui, "pour que les territoires ruraux ne soient pas délaissés, il faut les intégrer à la métropole"...

A lire : Jérôme Cordellier : "la métropolisation, une opportunité pour les territoires ruraux". Localtis.info, 15 octobre 2012

Quelques voix discordantes...

Les chercheurs qui se sont penchés sur l'avenir des grandes villes françaises dans le cadre de l'exercice prospectif Territoires 2040, animé par la Datar, ont proposé de leur côté un tableau critique de la métropolisation à l'oeuvre.

Pour eux, la concentration croissante des sièges sociaux et des richesses dans les grandes villes ne résulte pas seulement de "transformations plus ou moins spontanées des modes de vie" mais de choix politiques (la dérégulation des échanges économiques) et économiques (la réduction des stocks et le développement des flux tendus).

Or le choix d'orienter l'effort national sur le développement de métropoles "rayonnant politiquement, économiquement et culturellement sur des périphéries soumises", qui repose sur "la nouvelle doxa en vogue de l'économie de la connaissance" risque selon eux de freiner les innovations nécessaires :

  • en standardisant les politiques publiques, de plus en plus coupées des spécificités de leur territoire,
  • en privant le pays des usines et autres lieux de production où pourraient se développer de nouvelles idées.

En définitive, ce serait le "vieux défaut français de séparation de la main et du cerveau" qui expliquerait l'engouement pour la métropolisation...

A lire : Les systèmes métropolitains français à l'horizon 2040. Gilles Pinson, dans la revue Futuribles n°387 de juillet-août 2012, 18 pages

Clin d'oeil : ailleurs en Europe aussi, les réformes territoriales se succèdent en faveur de grandes villes !