Faire une place aux jeunes ruraux

La revue POUR consacre un dossier aux Initiatives des jeunes dans les espaces ruraux. On y trouve de nombreuses pistes de réflexion... et quelques pistes d'action !

Ce dossier donne la parole à des chercheurs en sciences sociales, mais aussi à des acteurs de terrain qui accompagnent des jeunes dans leurs projets, et à des jeunes qui font part de leur propre expérience.

"La jeunesse n'est qu'un mot..."


Cette citation de Bourdieu, fréquemment reprise dans ce dossier, illustre les difficultés rencontrées par les chercheurs comme par les élus et les associations de terrain pour définir et repérer les besoins d'un public "qui n'est jamais vraiment là où on l'attend".

La plupart des contributeurs s'entendent malgré tout pour décrire la jeunesse comme "le moment où la vie a encore une certaine plasticité" ou, plus prosaïquement, la "période de tuilage personnelle entre l'état d'étudiant-apprenti-stagiaire et les premières expériences professionnelles durables" : une période plus ou moins longue et plus ou moins chaotique...

Tous pointent les dangers d'une approche trop englobante... que bien peu évitent. Car il s'agit non seulement de repérer des profils et des attentes différentes en fonction de la situation familiale et sociale, ou encore de l'histoire de vie (certaines jeunes "héritent de leur engagement"), mais aussi en fonction de l'âge.

Un sociologue distingue par exemple :
  • les adolescents, qui "font partie intégrante du paysage rural" pendant leurs années collège et lycée et qui "échappent très largement aux dispositifs (de loisirs) existants" ;
  • et les jeunes adultes qui deviennent pour la plupart "des êtres urbains"  au moment de poursuivre leurs études ou de chercher du travail.
De leur côté, les Foyers Ruraux appliquent "une grille d'analyse qui tient compte de la différence de maturité et d'expérience des jeunes participants afin de ne pas pénaliser les plus jeunes" candidats aux Trophées J.Pass.

Pourquoi encourager la prise d'initiatives des jeunes ?


"Les jeunes sont très souvent considérés comme l'avenir du territoire"
, en particulier lorsque celui-ci est vieillissant. Ainsi, le Parc Naturel Régional de la Brenne, dans l'Indre, engage une politique jeunesse pour lutter contre "l'exode des jeunes et la dévitalisation du territoire" et "contrecarrer la faible part des jeunes revenant vivre dans le Parc".

Certains élus, comme les parlementaires à l'origine du service civique, semblent partager des "représentations plutôt défiantes et inquiètes de la jeunesse". C'est alors "la peur d'un délitement social dont les jeunes seraient les premiers porteurs" qui encourage les projets consistant à impliquer les plus jeunes dans des projets collectifs et des projets de territoire.

D'un point de vue plus optimiste, un réseau comme le Mouvement Rural de Jeunesse Chrétienne (MRJC) entend soutenir les initiatives des jeunes et développer (en l'encadrant) le service civique pour :
  • "agir de façon positive sur le renouvellement associatif",
  • bénéficier d'un "regard neuf sur les structures du réseau" 
  • et faciliter "la transmission de valeurs" à des personnes susceptibles de s'engager localement.
Le Mouvement souhaite rester "un important centre de formation de responsables associatifs, agricoles mais aussi politiques du monde rural".

D'autre part, les jeunes Français, urbains ou ruraux et "toutes classes sociales confondues" semblent partager "une dépression assez générale".

Une enquête menée en Bretagne décrit ainsi :
  • des jeunes "globalement critiques par rapport à la société dans laquelle ils vivent",
  • vicitimes d'un "sentiment d'impuissance",
  • qui ne s'engagent pas moins mais autrement dans l'espace public, de manière plus pragmatique, nomade, et ponctuelle.
Peu nombreux et peu consultés, focalisés sur leur insertion professionnelle, avec le "sentiment de n'avoir aucun contrôle et aucune emprise sur ce monde", voire d'être dépossédés de leur territoire par d'autres acteurs (touristes), les jeunes qui s'engagent dans le Périgord Vert le font à titre individuel. Ce sont souvent ceux "qui parviennent à revêtir un costume d'adulte" ou "héritent de leur engagement".

Ailleurs, une enquête auprès d'anciens élèves de lycées agricoles note que le territoire étudié, périurbain ou rural, "est pensé comme un environnement dissuasif où l'insertion apparaît compromise ou dévaluée"... Avec la précarisation des emplois, l'entrée dans la vie active se complique et "la solidarité familiale est largement sollicitée". Ainsi, l'accession des jeunes à l'autonomie "se fait de plus en plus en lien avec les parents", mais qu'en est-il de ceux qui ne peuvent compter sur aucune aide de ce type ?

C'est la notion d'empowerment qui est alors brièvement évoquée, pour habituer les plus jeunes à prendre des initiatives, à la fois personnelles et collectives et les aider en quelque sorte à sauter le pas.

Enfin, la prise d'initiative est aussi envisagée comme "une autre forme d'accès à la connaissance", dont toutes les étapes sont jugées formatrices, "génératrices de reconnaissance" et "d'intégration identitaire, sociale et professionnelle" pour les jeunes qui s'y engagent.

Et pour les chercheurs comme pour les acteurs de terrain, la prise d'initiatives réclame de la part des jeunes :
  • une relation de confiance avec le ou les adultes susceptibles de les aider à concrétiser leurs idées, surtout lorsqu'ils sont mineurs
  • des compétences, acquises ou non au cours de leur formation (organisation, constitution d'un réseau, prise de parole en public...)
  • de l'endurance et du temps : car "si les paroles des jeunes, leurs désirs sont exprimés et entendus par les adultes, il faut du temps pour qu'ils soient acceptés et intégrés"

Quelques initiatives... pour aider les jeunes à prendre des initiatives


Parmi les dispositifs passés en revue figurent :
  • divers appels à projets et fonds dédiés de l'Etat, de la Caisse d'Allocations Familiales ou d'autres acteurs de l'éducation populaire et de la vie associative,
  • les accueils jeunes (anciens "clubs de jeunes") des Foyers Ruraux,
  • les actions et le fonctionnement du Mouvement Rural de Jeunesse Chrétienne (MRJC),
  • les relais initiatives jeunes du Parc Naturel Régional de la Brenne, dans l'Indre...
Leurs points communs :
  • offrir un espace de rencontres entre pairs, et répondre ainsi à une demande très forte d'être ensemble (avant de faire ensemble), rendue plus difficile en milieu rural par un habitat dispersé et des difficultés pour se déplacer
  • proposer les services d'un animateur pour  :
    • apporter un appui méthodologique (formulation du projet, calendrier...) voire financier
    • faciliter le dialogue avec des interlocuteurs, financeurs et partenaires potentiels
  • mettre progressivement en responsabilité les jeunes concernés, en les investissant de la confiance d'un groupe
Il peut s'agir aussi de compléter "les appels à projets ou dispositifs d'aide aux projets existants, souvent mal adaptés aux jeunes : délais trop courts, budgets complexes, dossiers trop longsà remplir, critères d'éligibilité trop exigeants..."

Accompagner ou mobiliser des jeunes ?


Ainsi, "c'est souvent au contact des animateurs qu'une envie devient projet". Confrontés à "la désinstitutionnalisation des loisirs des jeunes, le désencadrement de leur temps libre et l'individualisation de leurs choix", les réseaux associatifs et les élus sont-ils tentés de formaliser des initiatives qui ne demandent pas à l'être ?

Pour effectuer un service civique, par exemple, "c'est avec une certaine hésitation" qu'une personne a "accepté" de s'engager dans un projet, ne croyant pas "avoir été à l'initiative de quoi que ce soit". Alors qu'une autre a "choisi de faire acte de candidature" et se dit heureuse d'avoir pu "se tester" dans le cadre d'une "vraie première expérience de responsabilisation".

Et quand dans un cas, "la prégnance du cadre institutionnel (...) qui a permis et accompagné l'initiative, a été mal vécue par les jeunes", en particulier lorsqu'il s'est agi d'intégrer une dimension de développement local au projet, dans un autre, "l'initiative privée des cinq jeunes est devenue peu à peu une action publique", grâce à la mobilisation rapide de partenaires locaux.

Y a-t-il de bonnes et de mauvaises initiatives ?


Un sociologue se penche sur l'organisation par des jeunes de soirées techno, rave parties et autres teknivals, plus ou moins bien tolérés par les autorités. Pour lui, il s'agit avant tout d'une pratique urbaine, très contrainte en ville, qui a peu à peu émigré vers les espaces ruraux.

L'organisation de telles fêtes, à la fois nombreuses et mobilisant de nombreux participants :
  • valorise le réseau social des jeunes ruraux, à même de trouver un terrain par exemple : "l'appartenance au milieu rural n'est plus uniquement synonyme d'échec dans la mobilité sociale"
  • leur permet de développer de nombreux savoir-faire, à la fois techniques (électricité, logistique...) et politiques, pour négocier avec des élus et des habitants souvent réticents : "il serait plus simple, et malgré un réel souhait de négocier, de rester dans la clandestinité pour exister".
Une autre contribution note que "la fête peut représenter un ancrage à l'espace collectif et au temps social" ; elle est "aussi un lieu d'apprentissage de la liberté".

Est-il plus difficile de prendre des initiatives à la campagne ?


Si les difficultés de déplacements et la pénurie d'équipements de loisirs sont des handicaps sérieux, un chercheur dénonce les politiques trop centrées sur la gestion d'équipements, et pas assez sur les attentes des jeunes ou leurs initiatives informelles.

Pour certains d'entre eux, un relatif isolement spatial se "transforme en droit à la solitude". Les jeunes rencontrés dans le Périgord Vert, notamment, "agissent dans l'espace public, au sens large, mais en retrait du regard des adultes", pour échapper à leur contrôle. Ils sont alors "nombreux à concevoir la ruralité comme un lieu correspondant à leur mode de vie".

Dans certaines zones, et notamment à la montagne, "plutôt que de dire qu'on est libre de prendre l'initiative, peut-être conviendrait-il de dire qu'on est poussé à l'initiaitive", notamment pour rester vivre au pays...

Le débat reste donc ouvert !

Initiatives des jeunes dans les espaces ruraux. Revue POUR n°211, septembre 2011, 208 pages, 20 euros